jeudi 20 juin 2013

Viol : croire les femmes qui accusent

Ce texte répond aux personnes qui « défendent » le viol parce qu’il y a des circonstances « atténuantes », parce que les personnes impliquées ne se sont pas « comprises », parce que la femme ment, parce que, parce que, parce que,… Il décrit clairement la façon dont les hommes peuvent en toute « innocence » ignorer que ce qu’ils font est une atteinte à l’intégrité des femmes. Ce que sous-tend ce texte est que si dans certains cas, des hommes se trompent encore à propos de leurs « droits » et « privilèges » sur les femmes, des organisations de gauche ne peuvent pas faire cette erreur de manière collective. Si un homme abuse d’une femme et qu’en plus il pense qu’il avait le droit de la faire parce que…, parce que…, parce que…, le rôle des organisations est de prendre position pour les femmes et de partir du principe de base que si une femme n’est pas enthousiaste pour une relation sexuelle, alors aucun homme n’a aucun droit de lui forcer la main. Les hommes qui se sont « trompés » sur le consentement de la femme ne doivent pas être excusés pour autant, car le mal, ils l’ont fait. Pour traiter une accusation de viol, il est indispensable de partir du principe que le viol a bien eu lieu, et pas le contraire.

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Rosie Warren

Ces derniers mois, j’ai eu pas mal de conversations à propos du viol et à propos des femmes qui ont dénoncé des viols. En particulier à propos de femmes qui ont accusé de viol des hommes haut placés dans la gauche radicale. J’ai remarqué pas mal de choses à propos de ces conversations ; certaines sont rassurantes, certaines décevantes, mais beaucoup étaient juste bonnes à vous rendre malade.

On m’a accusé de pas mal de choses pendant ces conversations, la plupart du temps sans que les accusations ne reposent sur aucune base, mais la plus confondante était, de loin, l’accusation que « toi, tu crois automatiquement la femme ! ». Bien. Non seulement je le fait effectivement, mais en plus je maintiens que c’est exactement dans cet ordre que les considérations à propos de ces cas doivent procéder. Et c’est important de souligner que c’est un positionnement qui est conseillé par la logique, mais aussi par la solidarité.

J’ai été assez surprise d’entendre ces accusations de la part de personnes avec qui je partage des opinions politiques et avec qui nous avons combattu du même côté au cours de conflits récents. Certains d’entre eux, pour qui j’ai le plus grand respect, ont déclaré catégoriquement qu’ils ne dépasseraient pas leur positionnement, même de manière privée. « Il faut enquêter sur cette question de manière très sérieuse » ont-ils dit, et « nous ne pouvons rien dire à propos de coupables et d’innocents parce que nous ne connaissons pas les détails ». Je m’oppose sans réserve à cela ; ces tentatives sont des accrocs à la rigueur politique. Nous devons, évidemment, commencer par croire les personnes qui accusent.

Et voici pourquoi :

Les interactions sexuelles sans consentement, c’est du viol.

Une femme qui accuse de viol, cela signifie qu’elle dénonce, et qu’une interaction sexuelle a eu lieu, et qu’elle n’y consentait pas.

Afin de poursuivre le but de cette contribution écrite, je vais prendre en considération ces cas au cours desquels les deux parties admettent que l’interaction sexuelle a eu lien, mais à propos de laquelle l’homme dit qu’il y avait consentement, tandis que la femme dit que non.

La question devient alors celle du consentement et plusieurs choses peuvent s’être produites Soit elle ment ; soit elle n’a pas compris ce qu’il se passait, elle pense que c’est un viol, mais se trompe ; soit elle a effectivement été violée.

Comment pouvons-nous savoir quel est le cas de figure réel, et que pouvons nous affirmer avec des preuves à l’appui ?



Soit elle ment

C’est une chose évidemment très difficile à estimer, non seulement parce que beaucoup de viols ne sont pas dénoncés (un rapport du gouvernement britannique de 2007 estime que 75% à 95% des viols ne sont pas dénoncés à la police. Qui plus est, il semble que 95% est plus proche de la vérité. En plus, ceux qui se sont penchés sur les cas de viols estiment à 5% le nombre de fausses déclarations (2) ; ce qui signifie 5%, ou au grand maximum 10% de ceux qui sont dénoncés. Donc, si, sur 5% de cas dénoncés, seulement 5% se révèlent de fausses accusations, ça veut dire que sur 100 viol (déclarés ou non), on a moins de 1 cas (0,25) dans lequel l’accusation s’avère fausse. 

Je crois que nous pouvons raisonnablement décider de ne pas en tenir compte, et, à moins qu’il y ai vraiment de très fortes justifications pour croire que la femme ment (des circonstances exceptionnelles peuvent exister et devraient alors être mises en avant).

Soit elle n’a pas compris ce qui s’est passé, pense que c’est un viol, mais se trompe

Je crois que cela repose sur la façon dont nous envisageons le consentement. Je crois que nous ne devrions pas envisager le consentement comme une absence de « non », mais bien comme la présence (même si non verbale, mais extrêmement claire) d’un « oui ». Une décision intentionnelle, consciente, active et positive. Pour pouvoir suggérer qu’une femme aurait mal compris qu’en fait elle n’a pas été violée, il faudrait par exemple suggérer qu’en fait elle était consentante, mais pas intentionnellement, ce qui est absurde.

Si le consentement est, comme je le crois, une décision intentionnelle, consciente, active et positive, comment pourrait-elle avoir consenti par accident et cela peut-il réellement être considéré comme un consentement ? Il semble évident que dans ce scénario, c’est l’homme qui s’est trompé à propos du consentement, puisque la femme ne peut pas l’avoir donné par erreur.

Je crois que c’est une question de valeurs que de choisir que le problème de compréhension est chez la femme plutôt que chez l’homme. Si on suppose que d’un côté ou de l’autre, l’un des deux n’a pas compris que la femme n’était pas consentante, il semble évident que c’est l’homme qui n’a pas comprit que c’est du viol plutôt que de croire qu’une femme pense qu’elle est en train d’être violée, mais que ce ne serait pas le cas, c’est jusque qu’elle ne comprend pas ce qui se passe…

Soit elle a été violée

Acceptons que comme je l’ai déjà dit, il y a 99% de chances qu’elle dise la vérité et qu’elle n’a pas pu consentir par « accident ». Si elle dit qu’elle n’était pas consentante, nous pouvons être sur à 99% qu’elle ne l’était pas. Alors il reste deux possibilités, soit l’homme ne se rendait pas compte qu’elle n’était pas consentante, soit il le savait et s’en fichait. Dans les deux cas, une interaction sexuelle sans consentement c’est du viol. Le viol a bien eu lieu.

Il ya plusieurs choses que je dois ajouter, en réponse aux critiques qui ont déjà été énergiquement tapées sur des claviers et hurlées dans ma direction.

Premièrement, comme expliqué, je parle du cas spécifique du viol, au cours duquel les deux parties sont conscientes que l’interaction a eu lieu. Certaines discussions naissent autour des explications selon lesquelles l’homme se serait trompé à propos du consentement. Avant d’aller au-delà, je dois déclarer, dans des termes les plus compréhensibles possibles, que je ne suis pas en train de suggérer que cela dédouanerait l’homme par rapport à son acte. C’est la responsabilité irrévocable et absolue de l’homme que de s’assurer qu’il a bien le consentement d’une femme avant d’avoir une relation sexuelle avec elle. S’il n’en n’est pas certain, il devrait s’abstenir.    

Lorsque je dis que les hommes peuvent se méprendre à propos de l’existence du consentement, je veux dire que des hommes peuvent avoir violé des femmes sans spécialement réaliser ce qu’ils ont fait. Un homme peut croire que la femme est consentante parce que sa vision du consentement c’est « à moins qu’elle ne dise non », ou « lorsqu’elle est nue », ou « elle est provocante et semble toujours prête pour ça ».

Ces croyances sont bien entendu absurdes. Ceci étant, s’il ne comprend pas que le consentement ne peut être qu’un oui librement exprimé avec enthousiasme, il ne peut pas se concevoir comme le violeur qu’il est dans les faits. Cela ne doit pas influencer notre analyse de ces hommes, comme violeurs, mais c’est néanmoins un facteur de complication.

C’est en même temps très évident (ce n’est pas étonnant que si on déclare abruptement qu’un homme est un violeur alors qu’il ne se considère pas comme tel, il nie cette possibilité) mais aussi, je pense, non-intuitif, parce que beaucoup, même à gauche, ont intégré cette vision simpliste du violeur comme un prédateur sexuel conscient et qui agit délibérément.



Les gens (même de gauche) hésitent souvent, en l’absence de preuve, à voir un homme accusé de viol comme un violeur, justement parce qu’ils ont intégré ce concept limité de ce qu’est un violeur. Lorsqu’on accepte de partir du point de vue logique de croire la femme qui accuse de viol, une des corollaires devrait être un changement dans les mentalités. Les personnes qui ont intégré cette vision simpliste de ce qu’est un violeur vont voir l’inadéquation de leur compréhension de ce qu’est le viol.

Il est nécessaire d’élargir la réflexion au fait qu’il y a beaucoup de types différents de viol. Pour la plupart cela semblera évident, mais il est peut-être nécessaire de développer un peu. Certaines femmes sont, bien entendu, violées par des violeurs, en rentrant chez elle, dans le noir. C’est généralement les cas dont on parle aux infos. Mais pour la plupart des femmes qui sont violées, le violeur est un membre de la famille, le partenaire ou un ami. Beaucoup de viols se passent au domicile même. Certains viols sont incroyablement violents, certains le sont moins. Certaines femmes ont trop bu, ou trop intoxiquées par une substance pour refuser, ou ont simplement trop peur. Je ne crois pas qu’il faille avoir une conception complexe du viol pour comprendre comment cela peut se passer, de manière réaliste.  

Tous les violeurs ne cadrent pas avec les critères du Violeur. Pas mal d’entre eux sont des « braves types » qui n’ont juste pas été assez « braves » que pour se rendre compte que la femme avec qui ils ont une interaction sexuelle n’est pas consentante. Ils ne se considèrent pas comme des violeurs, parce que le seul type de violeur qu’ils connaissent c’est « Le Violeur ». Mais cela ne change rien au fait qu’il n’y avait pas de consentement. Cela ne change pas notre compréhension du viol en tant qu’interaction sexuelle sans consentement, cela nous éclaire juste sur l’inadéquation du vieux concept selon lequel le viol est quelques chose qui ne se passe quand dans les ruelles sombres, et qui n’est perpétré que par des hommes qui sont sortis de chez eux avec l’intention de violer. Or, ce concept ne représente pas la majorité des expériences de viols subis par les femmes.

Enfin, la dernière chose qu’il est essentiel de soulever est que, si les femmes ne peuvent pas se tromper lorsqu’elles affirment qu’elles étaient ou n’étaient pas consentantes, cela ne signifie pas que les femmes ne peuvent pas avoir aussi intégré ce type de conception déformées de ce qu’est le consentement. Elles peuvent très bien, au moment où cela se passe, ne pas se concevoir comme ayant été violées. Bien des femmes ne prennent conscience que des années après les faits la nature de ce qui s’est réellement passé. Cela ne doit pas miner leur sincérité ou la véracité de leurs accusations, tout comme cela ne devrait amener aucune personne qui se considère comme antisexiste à ne pas les croire.

Évidemment, cela soulève des questions pour faire face aux accusations de viol au regard de la loi ainsi que parmi les gens de gauche. J’ai l’esprit assez ouvert quant à la meilleure façon de procéder, aux protocoles qu’il faudrait mettre en place et je suis pour d’avoir ce débat. Ici je me concentre sur l’étroite mais importante question de la crédibilité. Déclarer que nous croyons quelqu’un qui porte une accusation de viol n’est pas seulement un important acte de solidarité, mais c’est aussi, au vu de ce que nous savons sur la nature des accusations de viol, la seule position logique et cohérente à prendre.

Notes
1. HM Crown Prosecution Service, 'Without Consent: A report on the joint review of the investigation and prosecution of rape offences'.

2. The Guardian, 'Rape investigations "undermined by belief that false accusations are rife"', 13 March 2013.


3 commentaires:

  1. "Soit elle ment" : sans compter le fait que les chiffres du Guardian ne permettent pas de connaitre le nombre de fausses accusations, le calcul effectué ici n'est pas adéquat : c'est le nombre d'accusés innocents qui importe et non un ratio quelconque. Mais quels que soient les chiffres, le problème est que la présomption d'innocence est un élément vital de notre système judiciaire : on ne peut considérer que les gens sont coupables "par défaut" (sauf dans de rares cas). Sinon gare à la multiplication, justement, des dénonciations calomnieuses et des accusations infondées.

    C'est je trouve le point le moins bien développé de cet article, et pourtant le plus difficile quant au problème du viol : la preuve du "consentement" ou de son absence étant des plus difficile à établir, c'est ce qui rend les poursuites pour viol si complexes à traiter. Et non, la solution n'est pas et ne pourra jamais être de considérer les accusés coupables sauf preuve du contraire, parce que ce serait progressivement inciter les dénonciations calomnieuses et les chantages odieux (on a vu sur des sujets différents, comme la pédophilie, que quand les juges et les médias commençaient à considérer les gens coupables avant enquête, cela menait rarement à de bonnes choses). Et pourtant il faut (et c'est aujourd'hui une grande incompétence des journalistes, qui cherchent le sensationnel au détriment des faits), ne pas remettre en doute la parole des plaignantEs sans pour autant lyncher les accuséEs.

    Pour le reste en revanche, je trouve que ce billet rappelle fort bien des vérités qui devraient être des évidences et qui ne le sont malheureusement que trop peu.

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  2. Je voudrais ajouter de l'eau à ton moulin par une toute autre voie. Dans le viol on a la force, le sentiment de puissance, le sentiment du bon droit, qui font face à la faiblesse et au sentiment d'impuissance. Exactement le bon vieux rapport de classe entre le riche qui dispose de tout, capital materiel comme capital culturel et symbolique, face au pauvre qui ne dispose guère que de lui-même (et même pas toujours).

    Nous vivons une epoque où bien des esprits ont parfaitement pris en compte le rapport de force, pas pour le remettre en cause, mais au contraire pour le defendre au nom du "c'est comme ça". Le pauvre devient le pauvre con. Le faible n'a que ce qu'il merite. Et du reste il l'a bien cherche parce que... parce que... parce que...

    Il l'a bien cherche. Au feminin : elle l'a bien cherche. Elle n'a que ce que ce qu'elle merite.

    Tu vois, apporter la preuve, et toujours plus de preuves qui seront encore contestees, ne sert à peu près à rien. Puisqu'il y a une legitimite du seigneur et maître, du riche et puissant, que l'on refuse par principe de mettre en cause.

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  3. Oula... en relisant votre texte : très intéressant au passage, je me rend compte d'une énorme faute logique.

    Votre passage :

    "Donc, si, sur 5% de cas dénoncés, seulement 5% se révèlent de fausses accusations, ça veut dire que sur 100 viol (déclarés ou non), on a moins de 1 cas (0,25) dans lequel l’accusation s’avère fausse."

    Votre pourcentage n'a aucun sens puisqu'il ne peut y avoir de "fausse déclaration" sans "accusation". Votre pourcentage mélangent des chiffres incompatibles puisque sans accusation il ne peut y avoir de fausse déclaration.

    Sinon cela n'enlève rien au fond de votre pensée et à la justesse de vos propos.

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